Sur l'exposition Une certaine idée du bonheur de Clark et Pougnaud  
au Centre d'art contemporain de la Matmut - Daniel Havis
du 11 février au 21 mai 2023
Clark et Pougnaud sont un couple d’artistes formé en 1998 composé de Virginie Pougnaud, née en 1962 à Angoulême et Christophe Clark, né en 1963 à Paris. Virginie Pougnaud est peintre, Christophe Clark photographe. Ensemble, ils réalisent des photographies, plus exactement des photomontages qui seront composés pour la grande partie de deux images, assemblant des décors miniatures, de la peinture et des modèles photographiques. 

A l’entrée de l’exposition, le spectateur est introduit dans l’univers de Clark et Pougnaud en découvrant une première photographie, exposant une chaise et un fond peint. A côté, la même chaise, miniature, à échelle 1/12, qui a servi visiblement de modèle pour la photo. Nous apprendrons que Clark et Pougnaud travaillent ainsi : Virginie Pougnaud imagine une scène, construit un décor miniature et peint un fond ; Christophe Clark prendra une première photographie. La lumière, les couleurs seront ici des paramètres importants, Clark utilisera des spots, des miroirs ou des cônes de concentration. En nous engageant plus avant, dans la première salle à droite de l’entrée de l’exposition, nous y découvrons l’une de leur première série, en hommage au peintre Edward Hopper : Tribute to E. Hopper (seconde photographie), réalisée entre 2000 et 2005. Cette fois, un autre élément vient s’y ajouter : un modèle photographique. En effet, une fois la maquette réalisée et la première photographie prise par Clark en studio, celui-ci prendra une seconde photographie, d’un modèle, féminin la plupart du temps, toujours en travaillant sur la lumière, en vue d’un photomontage. Ces deux photographies prises, Clark fusionnera numériquement le modèle avec le décor. Cette série introduira également d'autres éléments propres au travail de Hopper, que nous retrouverons dans l'oeuvre de Clark et Pougnaud : la solitude et la pose du modèle, l'absence d'action qui accentue l'évocation d'une ambiance.
En m’interrogeant sur le procédé de Clark et Pougnaud, et sur l’impression d’étrangeté qui résulte des photographies, nous pourrions tout de suite nous demander si cette sensation ne résultait pas d’un décalage entre l’aspect réaliste des modèles photographiques et le décor peint, d’un aspect fabriqué. Mais si tel était seulement le cas, leur méthode de travail pourrait être autre, par exemple ne prendre qu’une seule photographie : le décor peint pourrait par exemple être à échelle humaine, comme sur une scène de théâtre. Or, Clark et Pougnaud ont besoin de deux photographies, dont nous verrons certaines conséquences qui ne seront possibles que via un photomontage. 

Après la première salle dédiée au peintre Edward Hopper, une seconde exposant des photographies d’une autre série intitulée Intimité, nous retournons sur nos pas pour nous retrouver dans une salle plus spacieuse, que l’on pourrait diviser en deux parties. La première salle expose, face à face, deux séries plus tardives : Mood Indigo, réalisée en 2014, et A poil, réalisée en 2022. Nous nous arrêterons sur la seconde. Celle-ci montre des femmes, presque nues, portant un habit de fourrure ; Clark et Pougnaud avaient invité des connaissances à prendre une fourrure leur appartenant et à venir poser avec. Le titre joue sur la polysémie verbale, jeu avec le spectateur que nous retrouverons avec d’autres séries. Mais en nous penchant un peu plus sur certaines photographies, nous pourrons y remarquer certains détails, qui pourraient presque passés inaperçus, que je n’ai pas saisi du premier coup d’œil, et qui participent à la fois à cet effet d’étrangeté précédemment évoqué et du besoin de réaliser un photomontage. En effet, si nous nous arrêtons par exemple sur une photographie, ici au sein de la série A poil, nous remarquons un second décalage, cette fois lié à la lumière : deux lumières sont ici juxtaposées et ne se confondent pas entièrement ensemble, celle du décor et celle du modèle. Ainsi, la première ne coïncide pas avec la seconde, sur d’autres des surexpositions apparaissent.
En préparant une visite avec des enfants, j’ai de mon côté essayé d’expliquer ce procédé par des exemples que je souhaitais assez simples ; j’ai alors pris deux feuilles, chacune représentant l’une des deux photographies, une pour le décor et l’autre pour le modèle. J’ai alors tenté d’expliquer que Clark et Pougnaud avaient besoin d’un photomontage, c’est-à-dire de deux images (et donc deux feuilles), pour transporter le modèle dans un décor imaginaire. Je souhaitais leur évoquer l’idée d’un voyage, qui ne me semble peut-être pas si éloignée de la démarche des artistes. Or, ce voyage ne se passerait pas forcément au mieux ou, le modèle ne sera pas totalement intégré à l’espace imaginaire caractérisé par le décor. Ce décalage, parfois très subtil, expliquerait l’un des aspects du procédé de Clark et Pougnaud et l’étrange effet qui peut résulter des photographies, sinon la nécessité d’un photomontage. 

Un autre élément m’avait également interpellé, que je souhaitais garder sous la main sans savoir comment l’utiliser, mais que je souhaitais rattacher à cette impression. Lors de la visite de presse en présence des artistes, au détour d’une question, Christophe Clark a évoqué le terme de vulgarité mais qu’il hésitait à utiliser dû à sa connotation péjorative. Ce mot m’intéressait beaucoup, que Clark a pu également évoquer par rapport à la place et l’importance des couleurs ; j’ai souhaité pour ma part et par la suite le rattacher au décalage et au procédé que je me proposais d’analyser : qu’il y ait à la fois quelque chose de construit mais également de faux, de factice, mais que cette sensation reste presque imperceptible pour le spectateur, sans que l’on puisse l’assigner d’un premier coup d’œil ; que cela passe davantage par une impression que par une analyse rationnelle. Comme une petite césure, un petit écart au sein desquels se logerait cette sensation, et qui passe par le photomontage. Cette impression de faux pourrait résulter en un sens en ce que l’image n’est pas totalement ou parfaitement bien construite, quelque chose ne colle pas. Comme un (beau) mensonge où nous avons la sensation, sans vraiment l’assigner et bien que le discours de la personne avec qui nous parlons se tienne à première vue, que quelque chose ne va pas, que quelque chose ne tienne pas parfaitement debout.

En continuant notre parcours nous passons dans la deuxième partie de la salle et nous arrivons devant deux séries très récentes : Eden et Fetish, réalisées respectivement en 2019 et 2020. Cette fois, Clark et Pougnaud quitte Paris pour aller s’installer à la campagne, en Charente. Ces deux séries ont ceci de particulier qu’il n’y a plus de modèle et plus de photomontage. Nous pouvons ici émettre l’hypothèse que l’absence d’un modèle, du fait de son intégration dans un décors fabriqué et du décalage qui résultait des deux, ne nécessitait plus l’usage du photomontage. Les photographies sont travaillées à la lumière naturelle et se présentent comme des natures mortes. Clark et Pougnaud ne délaissent pas pour autant la relation du fond peint et du sujet photographique. Nous restons tout de même dans la même atmosphère. ​​​​​​​
Nous descendons par la suite au sous-sol, où nous retrouvons certaines images de séries présentes au rez-de-chaussée. Nous en découvrons d’autres, comme La couleur chair, réalisée en 2016, jouant avec le spectateur ; les photographies montrent une femme avec un justaucorps de couleur chair qui semble nue vue de loin. D’autres photographies se dévoilent au fond du couloir, celle par exemple d’une série intitulée Une histoire d’amour, où les décors ont été inspirés par des tableaux de Felix Vallotton et Edgar Degas, seule image où un couple pose. Nous arrivons enfin dans la salle du fond, avec la série C’est la vie, réalisée en 2004 suite à une commande du Musée de l’Image à Épinal. Les photographies montrent une troupe de cirque, la troupe Romanès, lors de leur installation dans les environs de Paris, que Clark et Pougnaud ont été solliciter. En remontant, une dernière photographie nous attend, de la série Le Secret, réalisée en 2015. Elle montre un modèle féminin, voisine du couple à Paris. Le titre de la série fait référence, en jouant là aussi avec le spectateur, à un second tirage, une deuxième version avec le modèle nu qui est caché derrière la première au dos, scellé par un cachet de cire et que nous ne verrons peut-être jamais. ​​​​​​​
425 Rue Du Château
Saint-Pierre-De-Varengeville,76480
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